En effaçant les réseaux wifi que je n’utiliserai plus, ces deux derniers mois de voyage me reviennent en mémoire. Les réseaux wifi créent une carte de mon parcours, une chronologie de moments et de lieux: mes souvenirs américains. Chaque réseau représente un restaurant, un aéroport, un appartement, un café. A chaque réseau effacé, des visages apparaissent, des phrases résonnent. Surgissent une lumière, un sourire, un paysage, un regard. C’est ainsi que les souvenirs se créent.
Je revois les majestueux paysages californiens que mon pote Pouriya et moi avons traversés les yeux grands ouverts, les cheveux au vent: la route côtière n°1, sinueuse et sauvage, coincée entre l’océan et les montagnes, où la nature règne et l’homme reste un invité; les arbres gigantesques du Sequoia National Park et ceux millénaires et fous de la Bristlecone Pine Forest; les villes fantômes où la vie suinte encore des murs, où chaque objet a gardé sa place et combat le temps qui passe; le désert changeant et magique de la Death Valley qui nous transporté sur une planète lointaine le temps de quelques photos; la vallée majestueuse de Yosemite, ses montagnes antiques et ses cascades puissantes, nous laissant fragiles, humbles, en osmose avec la nature; et plus au nord, la côte sauvage et venteuse, rappelant l’Écosse ou l’Irlande.
Je revois San Francisco, ses collines pentues, ses habitants charmants, sa diversité ethnique, ses rues animés, son air d’Europe, les graffitis sur les murs du quartier mexicain. Le Golden Gate Bridge, majestueux, frontière entre l’océan Pacifique et l’Amérique. Je revois les longues autoroutes de Los Angeles reliant chaque quartier comme autant de villes dans un pays, ses rues embouteillées et ses trottoirs déserts, le soleil éblouissant, Hollywood, le cirque humain de Venice Beach; Los Angeles, un village monde.
Je revois Portland, avant-gardiste et bizarre, différente, originale, ses foodcarts qui font voyager par les sens aux quatre coins du monde; Seattle, longtemps rêvée, intellectuelle, anarchiste, écologique, vegane, un bond dans le futur; Bellingham, jeune, joyeuse, aux bars toujours animés, où flotte dans l’air une détonante envie de vivre et de créer.
New York, enfin. De l’aéroport j’aperçois les plus grands gratte-ciel de Manhattan, dont le nouveau World Trade Center, immense et commun. Mais entre ces géants froids se cachent une opulence de rêves, une diversité rare, un foisonnement culturel, l’impression d’être dans la capitale du monde, dernier bastion du rêve américain. Une ville née de l’immigration et de l’espoir.
Me reviennent en mémoire tous ces fous rires avec Pouriya, les moments de doute, les moments complices, la joie partagée sur la route dans une Mustang resplendissante , filant à travers les déserts, les collines, les montagnes; les diners, les veggie burgers, les emmerdes, le camping, les restaurants, les séances photos. Les vieilles connaissances revues, les nouveaux amis. Les rencontres, jamais anodines, toujours simples et belles s’extirpent de la corde du temps. Après tout, ce sont les rencontres qui font les voyages.
Et la nostalgie d’un voyage encore en cours me dévaste alors, violente et sourde. Je sais maintenant que chaque instant vécu est perdu à jamais, laissé quelque part au bord de la route. Je leur tourne le dos. Que faire d’autre? Les plus belles rencontres resteront des ombres enfouies dans ma mémoire. Les moments les plus marquants se transformeront bientôt en anecdotes à raconter lors de soirées arrosées, puis en simples souvenirs catalogués, parfois effacés.
Faire un voyage, c’est vivre beaucoup, et mourir un peu. Il faut en ressortir neuf, renaître. Que faire d’autre? Repartir. Où ça? Je ne sais pas, et je m’en fous.
Vous pouvez voir plus de photos de ce voyage ici.
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