Partir

Je suis assis, immobile, dans un train. J’étire mes jambes, les yeux fixés sur un film assez moyen. Dehors le paysage défile, je n’ai pas le temps de l’apprécier, je ne regarde même plus, ne pouvant rien en attraper. Alors que je me déplace physiquement entre Toulouse et Paris, je sens aussi le déplacement temporel. Le temps s’écoule dans mes veines. J’avance, me rapproche un peu plus. Mais de quoi?

Qu’est-ce que partir? Est-ce juste un simple déplacement physique? Un abandon?

Partir c’est tout d’abord laisser derrière soi le passé. Les souvenirs, les habitudes, les gens connus, les objets préférés. C’est tuer une part de nous, celle trop attachée à ce qui a été, celle qui s’est trop facilement protégée du temps qui passe comme l’on se protège d’un manteau en hiver. Le temps tourne, il revient, se retourne, jour après jour, et on s’y réchauffe. On fait du passé un doux feu de cheminée qui crépite ses souvenirs et nous aveugle devant la réalité extérieure lointaine et floue. Partir c’est dire « c’est fini », même si secrètement on espère que non; qu’on reviendra, qu’on retrouvera. Différent. Accompli.

Partir c’est embrasser l’avenir. C’est s’ouvrir à ce qui sera: les nouvelles rencontres, les futurs paysages habités, les emmerdes, les moments de joie et de tristesse. On se jette nu dans le vide en espérant être rattrapé. On offre sa confiance à l’autre, celui loin d’ici, qu’on ne connaît pas encore, qui nous offrira son aide ou son hospitalité. Un étranger, mais plus pour longtemps.

On étire le temps, on l’empêche de s’enrouler sur lui-même, on jette le manteau douillet au feu en souriant devant le froid glacial de l’avenir.

Partir, donc, c’est abandonner mais c’est aussi embrasser. Embrasser l’avenir, embrasser le monde qui s’offre à nous, embrasser l’inconnu, l’étrange, le soudain. Embrasser la vie.

C’est peut-être de ça que je me rapproche aujourd’hui. Chaque trajet, chaque pas m’y amène doucement. Chaque pas est un pas de plus vers de nouvelles aventures, de nouveaux amis, de nouveaux problèmes. Et j’embrasse tout ça, confiant, avec le sourire.